1. Le paradoxe du rempotage d’automne

Beaucoup d’amateurs européens ont tenté le rempotage d’automne, notamment sur les pins. Et beaucoup ont perdu leurs arbres. Pourtant, au Japon ou en Chine, cette même période est considérée comme idéale. Le paradoxe est intrigant : s’agit-il d’une différence de méthode, d’espèce, ou d’un simple décalage dans le rythme des saisons ?

En réalité, c’est la troisième hypothèse qui tient la clé. Ce qu’on appelle “automne” en Europe n’a rien à voir avec “l’automne” du calendrier asiatique. Et pour un arbre, cette différence change tout.

2. Les saisons ne sont pas les mêmes d’un continent à l’autre

Nos calendriers ne décrivent pas les saisons de la même manière :

  • En Europe, l’automne commence le 21 septembre et s’achève le 20 décembre.
  • En Asie orientale, l’automne s’étend du 15 août au 28 octobre, avec un “milieu d’automne” autour du 21 septembre et une courte intersaison appelée “cinquième saison” avant et après.

Voir la Fiche Pratique sur Les saisons 

Ce décalage d’environ cinq à sept semaines modifie profondément les conditions climatiques : température du sol, humidité, luminosité et activité racinaire des arbres. Autrement dit, quand un maître japonais parle de rempotage d’automne, il évoque une période qui, en Europe, correspond à notre fin d’été.

3. Ce que dit la physiologie végétale

Pour comprendre la différence, il faut se pencher sur le fonctionnement des racines.

Les racines poussent et se régénèrent dès que la température du substrat reste au-dessus de 4 °C. En pleine terre, la masse du sol garde la chaleur longtemps : à la Saint-Catherine (25 novembre), il reste encore assez tiède pour stimuler un peu d’activité racinaire.

Mais dans un pot, le volume est faible, la terre se refroidit vite, et elle ne se réchauffe plus avant plusieurs mois. Résultat : un arbre rempoté en novembre n’a plus le temps de reformer ses radicelles avant l’hiver.

Un arbre sans radicelles, c’est un arbre qui ne s’alimente plus : il puise dans ses réserves jusqu’à l’épuisement. D’où les pertes fréquentes observées après les rempotages “d’automne” en climat européen.

4. Le rythme propre de chaque espèce

Les études physiologiques confirment que le rythme racinaire ne coïncide pas avec le rythme végétatif.

Voici les principaux types de croissance annuelles observées sur les arbres.

En orange les période de prélèvement ou de rempotage optimales

Chez la plupart des conifères, la reprise racinaire a lieu soit en début de saison (mai-juin), soit en fin d’été (août-septembre).

Chez les feuillus, elle s’étend plus tard, parfois jusqu’à fin septembre si les nuits restent douces.

Les observations suivantes en donnent une idée :

pin sylvestre – période prélèvement ou rempotage juillet.

Pin Noir Laricio – 2 périodes prélèvements ou rempotages début Mars, Aout

Épicéa commun, 3 périodes prélèvements ou rempotages, la meilleur serait la seconde sur juillet.

Mélèze du Japon, 2 périodes prélèvements ou rempotages début mai, et juillet.

Sapin Douglas – 2 périodes prélèvements ou rempotages, mars et aout.

Pin Maritime – 2 périodes prélèvements ou rempotages mars et Aout.

Et quelques exemple de feuillus :

Chêne Pédonculé – 3 périodes prélèvements ou rempotages, fin mai début juin, Juillet, et surtout fin Aout .

Hêtre commun – période prélèvement ou rempotage, juin.

Robinier Faux-Acacia – prélèvement ou rempotage, fin mai début juin.

Gommier Rouge, prélèvements ou rempotages, septembre & octobre.

Ces données concordent avec les études classiques de Riedacker, Aussenac et collaborateurs : la régénération racinaire est souvent plus active en fin d’été qu’en plein printemps, à condition que les températures restent supérieures à 10 °C.

5. Conséquence pratique pour les bonsaïstes européens

La période optimale de rempotage n’est donc pas l’automne calendaire, mais la fin d’été climatique.

Autrement dit : mi-août à mi-septembre, selon la région et l’espèce.

C’est là que les racines se reforment vite, que les réserves sont encore hautes et que les conditions de culture (température, lumière, humidité) permettent une cicatrisation efficace du système racinaire.

Pour la pleine terre, la situation est différente : le volume du sol amortit le froid et permet aux racines de pousser jusqu’en décembre. C’est pourquoi l’adage populaire “Tout bois planté avant la Saint-Catherine prend racine” reste juste… mais seulement pour les plantations en sol, pas pour les arbres en pot.

6. Les autres facteurs internes

Les rythmes racinaires ne sont pas les seuls en jeu. La réussite d’un rempotage dépend aussi de :

  • l’état de vigueur générale de l’arbre (réserves, santé foliaire, équilibre racines/rameaux),
  • la qualité du substrat (aération, inertie thermique, mycorhization),
  • la nutrition et l’humidité du pot avant et après rempotage.

Ces facteurs se préparent longtemps à l’avance : un arbre bien nourri, cultivé en substrat vivant et aéré, réagira toujours mieux, quelle que soit la saison choisie.

7. Conclusion

Les rempotages d’automne “à la japonaise” ne sont pas une erreur : ils fonctionnent parfaitement… dans le climat et le calendrier asiatique.

En Europe, la clé n’est pas de copier les dates, mais de retrouver les mêmes conditions physiologiques.

Autrement dit, il faut décaler notre regard d’un mois et demi en arrière : viser la fin d’été, quand les racines recommencent à pousser, avant que le pot ne se refroidisse.

Bibliographie

  • Aussenac, G., Guehl, J.M., Kaushal, P., Granter, A., Grieu, Ph. – Critères physiologiques pour l’évaluation de la qualité des plants forestiers avant plantation.
  • Riedacker, A. – Rythmes de croissance et de régénération des racines des végétaux ligneux.
  • Riedacker, A., Arbez, M. – Croissance et régénération des racines de semis de pins laricio et de pins noirs en chambre climatisée et in situ.

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