Les mycorhizes dans l’histoire du vivant
L’histoire des mycorhizes plonge ses racines dans les débuts mêmes de la vie végétale sur les continents.
Elles apparaissent il y a environ 450 à 470 millions d’années, au Dévonien, bien avant les premières plantes à fleurs. Les études paléobotaniques, notamment celles des fossiles de Rhynie Chert en Écosse, ont révélé des traces de champignons symbiotiques dans les racines des premières plantes terrestres.
Ces observations ont conduit les scientifiques à penser que la symbiose mycorhizienne fut l’une des conditions essentielles à la conquête des continents par les végétaux.
Les premières alliances du vivant
Les premières associations ont uni des champignons gloméromycètes, formant les mycorhizes arbusculaires (MA), à des plantes primitives non vasculaires, proches des mousses et hépatiques (bryophytes).
Ces champignons, dotés de filaments extrêmement fins, colonisaient l’intérieur des racines sous forme de petites arbuscules – véritables réseaux d’échanges nutritifs.
Cette symbiose, dite endomycorhizienne, a permis aux végétaux de prélever eau et nutriments dans des substrats pauvres et minéraux, facilitant ainsi leur installation sur les terres émergées.
L’apparition des ectomycorhizes
Des centaines de millions d’années plus tard, au cours de l’évolution des gymnospermes (notamment les conifères), est apparue une nouvelle forme d’association : les ectomycorhizes (EcM).
Contrairement aux précédentes, ces champignons ne pénètrent pas à l’intérieur des cellules racinaires, mais les entourent d’un manchon dense de filaments et tissent un réseau de Hartig, interface d’échange entre racine et champignon.
Les EcM possèdent un système enzymatique plus puissant que celui des gloméromycètes.
Ils peuvent dégrader la matière organique du sol et libérer les nutriments piégés dans les débris végétaux, ouvrant ainsi aux arbres la possibilité de coloniser des sols rocheux, pauvres ou jeunes.
C’est grâce à eux que les conifères ont conquis les zones continentales stériles, du Nord au Sud, et qu’ils dominent encore aujourd’hui les forêts boréales.
L’ère des plantes à fleurs : diversification des symbioses
À la fin de l’ère secondaire apparaissent les angiospermes, les plantes à fleurs.
Elles durent elles aussi choisir leur partenaire fongique :
- certaines devinrent ectomycorhiziennes, comme les chênes, hêtres, bouleaux ou noisetiers ;
- d’autres restèrent endomycorhiziennes (MA), à l’image des érables, frênes, arbres tropicaux et la plupart des herbacées.
Certaines espèces, plus opportunistes, conservent les deux types de symbiose – c’est le cas des peupliers.
D’autres lignées ont inventé des formes particulières de mycorhizes, comme les éricacées (myrtilles, rhododendrons) ou les orchidées, ces dernières dépendant totalement du champignon pour leur germination.
Aujourd’hui encore, malgré leur ancienneté, les mycorhizes arbusculaires (MA) concernent près de 85 % des plantes terrestres.
Les ectomycorhizes, plus récentes, ne représentent qu’environ 5 % des espèces, mais dominent les écosystèmes forestiers des zones tempérées et froides.
Les arbres et leurs symbioses
Chez les arbres fruitiers (pommiers, poiriers, cerisiers, pruniers, noyers…), la symbiose est endomycorhizienne (MA).
Les châtaigniers et noisetiers, en revanche, sont ectomycorhiziens.
Parmi les espèces d’ornement :
- les érables, frênes et ifs s’associent à des champignons endomycorhiziens,
- tandis que les chênes, pins et tilleuls forment des ectomycorhizes.
Ces compatibilités sont fondamentales à connaître pour tout cultivateur : un arbre planté dans un substrat inadapté à sa symbiose naturelle risque un développement ralenti, voire une carence chronique malgré un bon arrosage.
Une symbiose fondatrice et toujours active
L’intérêt de cette association est multiple et spectaculaire :
- Extension du réseau racinaire
Les filaments mycorhiziens, beaucoup plus fins que les radicelles, explorent un volume de sol jusqu’à dix fois supérieur à celui des racines seules.
Ils accèdent à des micropores où se trouvent l’eau et les nutriments les moins mobiles, comme le phosphore, le zinc ou le cuivre. - Protection contre les agressions
Les champignons mycorhiziens limitent l’invasion des pathogènes racinaires et peuvent même réduire les attaques d’insectes herbivores.
Certaines espèces fongiques sécrètent des substances antifongiques ou stimulent les défenses immunitaires de la plante. - Stabilisation et structuration du sol
Les gloméromycètes produisent une glycoprotéine appelée glomaline, aujourd’hui considérée comme un élément clé de la structure des sols.
Cette molécule agit comme une colle naturelle, liant les particules minérales entre elles, améliorant la stabilité, la porosité et la rétention d’eau du sol. - Échanges énergétiques équilibrés
En échange de ces services, la plante fournit au champignon jusqu’à 20 % des sucres issus de la photosynthèse, sous forme de glucose et de fructose.
Cette circulation bidirectionnelle de carbone et de nutriments transforme la rhizosphère en un véritable réseau d’échanges souterrains — parfois surnommé le wood wide web.
Les réseaux mycorhiziens peuvent relier des dizaines à quelques centaines d’arbres sur plusieurs centaines de mètres carrés, voir quelques hectares. Au-delà, les réseaux se chevauchent sans appartenir au même organisme : il s’agit d’un maillage écologique, non d’un seul individu continu. La confusion vient souvent du champignon géant de l’Oregon (Armillaria ostoyae), qui couvre environ 965 hectares et pèse plus de 35 000 tonnes (Smith et al., Nature, 1992). Mais ce champignon est saprophyte et parasite, non mycorhizien. Les véritables mycorhizes, bien que moins étendues physiquement, représentent une infrastructure biologique essentielle reliant les plantes entre elles. (Simard et al., Fungal Biology Reviews, 2012 ;Southworth, New Phytologist, 2012 ;Smith et al., Nature, 1992 ; INRAE, 2022.)
Un contrat écologique vieux de 450 millions d’années
Les mycorhizes ne sont pas seulement une curiosité botanique : elles sont une architecture fondamentale du vivant terrestre.
Elles relient les plantes entre elles, facilitent la séquestration du carbone dans le sol, participent au cycle global des nutriments et influencent la dynamique des forêts.
Elles incarnent l’idée d’un écosystème coopératif, où la survie d’un organisme dépend intimement de l’autre.
Bibliographie indicative
Smith, S.E. & Read, D.J. (2008) – Mycorrhizal Symbiosis, 3ᵉ éd., Academic Press.
Remy, W. et al. (1994) – “Four hundred-million-year-old vesicular arbuscular mycorrhizae.” Proceedings of the National Academy of Sciences, 91(25): 11841–11843.
Garbaye, J. (2013) – La symbiose mycorhizienne : la vie cachée des racines, Éditions Quae.
Brundrett, M.C. (2017) – “Distribution and evolution of mycorrhizal associations in terrestrial plants.” New Phytologist, 215(2): 763–775.
INRAE (2022) – Les mycorhizes, alliées invisibles des plantes, dossier en ligne.
Les mycorhyzes expliquées en vidéo



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